Prévention et santé des femmes au travail : « Il existe une maltraitance organisationnelle »

Le 16 février, la délégation aux droits des femmes poursuivait les auditions dans le cadre de son rapport d’information sur la santé des femmes au travail. Psychologue, médecin du travail, représentante syndicale : pour cette quatrième audition de la délégation, plusieurs professionnelles de santé étaient conviées autour de la table. Prévention et santé des femmes au travail : quel état des lieux des professionnelles de santé ?

 

 

Actuellement débattu à l’Assemblée nationale, le projet de réforme des retraites se heurte à de vives oppositions, tant dans l’hémicycle que dans la rue. Une partie des contestations autour du projet s’est cristallisée autour du report de l’âge légal de départ, notamment des femmes. En l’état actuel de la réforme, le report de l’âge de la retraite touchera plus fortement les femmes que les hommes, et la question des dispositifs qui pourraient atténuer ces effets reste entière. Une pénalisation de plus, pour celles qui au cours de leurs vies professionnelles, sont déjà exposées à de nombreuses discriminations et qui le paient, notamment au prix de leur santé. C’est dans ce contexte que la délégation aux droits des femmes poursuivait, le 16 février, son rapport d’information sur la santé des femmes au travail. Depuis le début de ses travaux, la délégation a dressé plusieurs constats : la santé des femmes au travail manque de visibilité. Dans les faits, 58 % des salariés souffrant de troubles musculo-squelettiques sont des femmes. Elles sont également les premières victimes des risques psychosociaux auxquels elles sont de plus en plus exposées dans leur vie professionnelle. Et si certaines expositions professionnelles sont connues pour être spécifiquement à risque pour les femmes, à ce jour seul le cancer du sein a fait l’objet d’une labellisation spécifique par la Haute Autorité de santé. Comment l’expliquer ?

 

« Au travail, les spécificités de genre des femmes ne sont pas prises en compte »

 

« Si les spécificités du genre sont prises en considération à titre individuel lors de consultations médicales, en entreprise, l’évaluation des risques psychosociaux est effectuée de la même façon entre les femmes et les hommes » explique Carole Donnay, secrétaire générale de l’Association des médecins responsables de services nationaux de médecine du travail d’entreprise (Acomede). « Plus globalement au travail, les spécificités de genre des femmes ne sont pas prises en compte. Les créations de postes sont souvent normées sur des mesures masculines ce qui génère des maladies professionnelles chez les femmes ». C’est le cas, à titre d’exemple, dans le secteur de la production ou de la logistique, explique la secrétaire générale de l’Acomede. La conception de poste de ligne de montage se fonde sur des références anthropométriques masculines. Les postes sont peu adaptés aux gabarits des femmes, qui se retrouvent plus enclines à développer des troubles musculo-squelettiques. Cela joue aussi sur l’avancement de leur carrière : moins productives du fait d’un matériel non adapté, les femmes se retrouvent limitées à certains postes. Or comme le rappelle Carole Donnay « moins on peut évoluer professionnellement, plus nous sommes exposés aux risques psychosociaux ».

 

« La prévention des risques psychosociaux dans les secteurs professionnels dits féminins n’est pas à la hauteur »

 

L’autre facteur d’explication se trouve plus généralement dans les politiques de prévention professionnelle. « La prévention des risques psychosociaux dans les secteurs professionnels dits féminins n’est pas à la hauteur des actions engagées dans les secteurs dits masculins » constate Carole Donnay. C’est le cas, par exemple, dans le secteur du BTP avec l’amiante. Matériel hautement toxique, l’amiante était très utilisé dans la construction de bâtiments avant son interdiction en 1997. L’exposition à l’amiante a largement été dénoncée et a attiré le regard des autorités de contrôle, qui ont engagé une politique de prévention. En comparaison, l’exposition aux produits chimiques et toxiques dans les secteurs du soin à la personne ou du nettoyage, majoritairement féminin, ont été banalisés. Dans ces secteurs professionnels, l’organisation préventive a du mal à se mettre en place. De surcroît, les salariés de ces secteurs arrivent rarement à faire valoir leur droit à réparation, faute de moyens.

 

« Cette violence systémique est le lit du sentiment d’usure des salariées »

 

« En 2019, il a été montré que le taux d’accidents au travail des femmes diminuait moins que celui des hommes. Et il n’y a pas eu d’explication concrète : les statistiques genrées par métier n’existent pas. Il paraît que c’est compliqué » ironise Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC). Dans une enquête de 2018, l’assurance maladie dénombrait que 60 % des salariés en burn-out étaient des femmes, travaillant généralement dans les secteurs médico-sociaux, le commerce, le service. Or, rappelle Anne-Michèle Chartier, le burn-out peut être déclenché par un élément brutal, ou un élément révélateur de son environnement de travail. Comment l’analyser ? Pour Anne-Michèle Chartier « il existe, dans le travail des femmes une maltraitance organisationnelle ». Dans les métiers du soin à la personne, du ménage, on trouve des violences structurelles, acceptées par la société. Tout d’abord du fait de la précarité de ces métiers, majoritairement en temps partiel, mal rémunérés, suscitant peu de reconnaissance de la part des employeurs et des clients. A cette précarité se couple un environnement violent, explique la responsable syndicale. « Souvent ces femmes habitent dans des zones éloignées de leur lieu de travail, avec des trajets longs, en horaires décalés, qui les amènent à retourner chez elles alors que l’environnement est peu sécurisé. Cette violence systémique des femmes doit être analysée car elle est le lit des troubles musculo-squelettiques, des risques psychosociaux, du sentiment d’usure, de violence. »

 

 

Comment mieux prévenir ? Pour Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de Santé « si on n’a pas compris que tout tourne autour de la charge mentale des femmes, des tabous et du sexisme intégré, des biais genrés, alors on n’a rien compris sur la santé de la femme ». « Actuellement, tout ce que nous proposons pour les femmes, en termes de prévention de santé, alourdit leur charge mentale. Il faut que dans toutes les politiques publiques de prévention, il y ait un indicateur de charge mentale. Il faut également mettre en œuvre un programme national de santé de la femme ». Pour finir, pour la fondatrice du collectif Femmes de santé, il faut une coopération des employeurs dans la mise en œuvre des actions de prévention de la santé des salariées.

 

Source : www.publicsenat.fr

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