Le reclassement doit aussi être proposé pour un salarié en en CDD

Les employeurs ne peuvent exclure de leurs recherches de reclassement les postes disponibles seulement pour une durée limitée.

 

Déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, une éducatrice spécialisée, employée par une association s'occupant de personnes handicapées, est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Estimant que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, elle conteste le bien-fondé de son licenciement.

 

Les demandes et argumentations

 

La salariée expose que l'employeur doit proposer au salarié tous les postes disponibles, peu important qu'ils ne soient disponibles que pour une durée limitée. Or, dans son cas, des postes d'éducateur spécialisé simultanément pourvus par des contrats à durée déterminée ne lui avaient pas été offerts, ce qui, à ses yeux, caractérisait un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement issue de l'article L. 1226-2 du Code du travail.

 

De son côté, l'employeur soutient qu'il a effectué des recherches sérieuses de postes de reclassement, en précisant dans ses demandes les préconisations du médecin du travail. Plusieurs postes ainsi trouvés ont été refusés par l'intéressée.

 

Il ajoute que le fait que plusieurs éducateurs spécialisés aient été recrutés en CDD est inopérant dans la mesure où ces différents postes recouvraient les mêmes périodes de temps et n'auraient pu par conséquent être occupés par un seul et même salarié.

 

La cour d'appel en charge du litige approuve ce raisonnement.

 

La décision, son analyse et sa portée

 

La Cour de cassation n'a pas suivi les juges du fond : « en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que plusieurs postes d'éducateur spécialisé avaient été pourvus par contrat à durée déterminée sans être proposés à la salariée, la cour d'appel a violé [l'article L. 1226-2 du Code du travail] ».

 

L'obligation de reclassement couvre un large champ

 

Cette position s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence en la matière. Ainsi, il y a 10 ans, la Cour suprême avait déjà dit que même un poste à pourvoir par voie de CDD devait être soumis à un salarié déclaré inapte (Cass. soc., 23 sept. 2009, no 08-44.060 : il s'agissait d'un salarié qui aurait pu être affecté à un poste de bureau, mais qui avait été licencié alors qu'un poste de secrétaire avait été pourvu en CDD avant le licenciement).

 

Autrement dit, même si des postes ne sont disponibles que pour une durée limitée, l'employeur doit néanmoins les soumettre au salarié inapte qu'il doit reclasser (Cass. soc., 10 févr. 2016, no 14-16.156).

 

La même règle s'applique s'agissant d'un poste vacant pour cause de congé maternité, car le caractère temporaire d'un poste n'interdit pas de l'inclure dans les recherches de reclassement (Cass. soc., 5 mars 2014, no 12-24.456, JSL, 22 avr. 2014, no 364-7).

 

En revanche, ne constituent pas un poste disponible pour le reclassement d'un salarié inapte l'ensemble des tâches confiées à des stagiaires qui ne sont pas salariés de l'entreprise, mais qui suivent une formation au sein de celle-ci (Cass. soc., 11 mai 2017, no 16-12.191, JSL, 11 juill. 2017, no 435-4).

 

“Cette définition doit donc être entendue dans un sens très large, en incorporant les postes temporairement disponibles”.

 

Pour fonder certaines de ses décisions, la Cour de cassation s'est appuyée sur l'article L. 1226-10 du Code du travail, qui dispose que l'employeur doit proposer au salarié déclaré inapte un autre emploi aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

 

Cette définition doit donc être entendue dans un sens très large, en incorporant les postes temporairement disponibles.

 

En l'espèce, la cour d'appel a par conséquent été censurée pour n'avoir pas pris en compte le fait que des contrats à durée déterminée pour des emplois d'éducateur spécialisé avaient été conclus pendant la période contemporaine au licenciement, ce dont il résultait que des postes étaient disponibles et que l'employeur aurait dû les présenter à la salariée inapte.

 

Que se passe-t-il cependant lorsque le salarié est reclassé sur un poste qui n'est que temporaire (lorsque le poste n'a plus de raison d'être, ou que le titulaire absent du poste revient) ? Il n'existe pas de réponse claire à cette question...

 

Inaptitude d'origine professionnelle ou non : même principe

 

La plupart des règles régissant l'inaptitude sont les mêmes, qu'elles soient d'origine professionnelle (causée par un accident du travail ou par une maladie professionnelle) ou non : constatation par le médecin du travail, recherche de postes de reclassement, consultation des représentants du personnel sur les postes envisagés, reprise du salaire au bout d'un mois pour les salariés ni reclassés ni licenciés... Ce sont surtout les conséquences indemnitaires qui diffèrent.

 

Que le poste proposé au salarié inapte soit temporaire ou permanent, l'intéressé peut le refuser sans que cela ne constitue une faute (sauf abus) ; dans une telle situation, l'employeur devra soit formuler de nouvelles propositions, soit procéder au licenciement pour impossibilité de reclassement (Cass. soc., 25 mai 2011, no 09-71.543).

 

On notera pour finir que l'employeur est dispensé de son obligation de reclassement si le médecin du travail mentionne expressément que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (C. trav., art. L. 1226-2-1 pour une inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel ; C. trav., art. L. 1226-12 pour une inaptitude d'origine professionnelle ; C. trav., art. R. 4624-42). De même, compte tenu de la finalité de l'apprentissage, l'employeur n'est pas tenu de procéder au reclassement de l'apprenti présentant une inaptitude de nature médicale (Cass. soc., 9 mai 2019, no 18-10.618, JSL, 8 juill. 2019, no 479-2).

 

Extraits du texte de l'arrêt

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

 

Statuant sur le pourvoi formé par A..., domiciliée lieudit Callabris, [...], contre l'arrêt rendu le 20 mars 2018 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) des Alpes de Haute-Provence, dont le siège est route de Saint-Jean, [...], défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

 

LA COUR, en l'audience publique du 18 juin 2019, où étaient présents : Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, m. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, Mme Grivel, avocat général, Mme Lavigne, greffier de chambre ;

 

Sur le rapport de m. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de A..., de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de l'Association pour adultes et jeunes handicapés des Alpes de Haute-Provence, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que A... a été engagée à compter du 23 juin 2008 par l'Association pour adultes et jeunes handicapés des Alpes de Haute-Provence (l'APJH) en qualité d'éducatrice spécialisée ; que le 10 décembre 2014, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste en une seule visite à raison d'un danger immédiat ; que, licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 22 janvier 2015, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes tant au titre de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail ;

 

[...]

 

Mais sur le deuxième moyen :

 

Vu l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause ;

 

Attendu que pour dire le licenciement fondé, l'arrêt retient que l'APAJH justifie avoir, à la suite de l'avis d'inaptitude du médecin du travail, effectué des recherches aux fins de reclassement et précisé dans ses demandes la mention du médecin du travail « un reclassement pourrait être envisagé sur un poste tel qu'occupé précédemment à l'Ime » et proposé à A... plusieurs postes qu'elle a refusés, que le fait que plusieurs éducateurs spécialisés aient été recrutés en CDD est inopérant dans la mesure où ces différents postes recouvrent les mêmes périodes de temps et n'auraient pu par conséquent être occupés par un seul et même salarié, qu'en outre le poste de l'ITPE de Champtercier a été publié le 18 mai 2015 pour être pourvu le 24 août 2015 alors que A... avait déjà été licenciée le 22 janvier 2015, que l'APAJH a ainsi satisfait à son obligation de reclassement en tenant compte des capacités précisées par le médecin du travail ;

 

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que plusieurs postes d'éducateur spécialisé avaient été pourvus par contrat à durée déterminée sans être proposés à la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute A... de ses demandes tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et à obtenir le paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité de congés payés sur préavis et de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 20 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

 

Condamne l'Association pour adultes et jeunes handicapés des Alpes de Haute-Provence aux dépens ;

 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'Association pour adultes et jeunes handicapés des Alpes de Haute-Provence à payer à A... la somme de 3 000 euros ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille dix-neuf.

 

Source : 14/11/2019 Jurisprudence sociale Lamy, nº 485, novembre 2019

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